Les personnes souffrant d’hypersensibilités environnementales réagissent négativement à des contaminants de toutes sortes, et ce, à un niveau d’exposition qui, à première vue, ne provoque aucune réaction chez la plupart des gens. Leurs réactions entraînent des symptômes qui peuvent être incommodants, très graves, voire incapacitants. Selon les dernières données de Statistique Canada (2007), les hypersensibilités environnementales sont un problème de santé de plus en plus répandu. Pourtant, au Québec, les personnes les plus gravement atteintes ont souvent beaucoup de difficulté à obtenir des soins de santé appropriés et à se faire reconnaître comme malades au même titre que les personnes atteintes d’autres maladies.
Pour comprendre pourquoi il est si difficile de faire reconnaître les hypersensibilités environnementales, il importe de les situer en tant que maladie environnementale en émergence. La reconnaissance d‘une maladie environnementale remet en question nos valeurs et nos choix de société. La façon de les prévenir nous demande parfois d’effectuer des changements importants dans nos façons de faire. En effet, comment demander à tous et à toutes de ne pas porter de parfum dans des lieux publics, alors que nous sommes bombardés de publicités affirmant que l’achat de tel parfum va décupler notre pouvoir de séduction, que telle crème va nous rajeunir de dix ans, et que les femmes qui portent tel désodorisant, en plus d’être jeunes et belles, seront récompensées par une énergie inlassable leur permettant de performer 18 heures par jour, et ce, sans la moindre trace de sueur? À en croire les annonces, aujourd’hui, il nous faut également des parfums pour rendre notre maison invitante, pour nous permettre de « respirer le bonheur », et même, grâce à certains pots-pourris, de voyager… jusqu’aux îles Vierges! Suggérer que tous ces produits parfumés ne sont pas nécessaires, mais qu’en plus, ils rendent des gens malades, c’est aller à contre-courant, c’est le moins que l’on puisse dire. Il n’est donc pas surprenant que le chemin de la reconnaissance des maladies environnementales soit souvent jonché d’obstacles.
Les parfums
Les parfums sont considérés comme la forme de fragrance la plus concentrée. Ils sont utilisés depuis des centaines d’années pour masquer les odeurs déplaisantes. Les fragrances utilisées étaient extraites des plantes, des fleurs et des animaux. De nos jours, 80 à 95 % des substances utilisées pour les fragrances sont synthétiques ou proviennent du pétrole. Celles-ci incluent des centaines de produits chimiques différents et autant de combinaisons possibles. Des tests effectués par le Réseau Environnement Santé ont révélé qu’un seul parfum pouvait contenir plus de 800 substances chimiques. Notons que ces mêmes molécules pétrochimiques synthétiques sont utilisées pour fabriquer des arômes (framboise, fraise, lime, etc.) que l’on trouve entre autres dans l’alimentation.
Cela dit, il est important de garder à l’esprit que ce qui est aujourd’hui considéré comme une maladie controversée ou en émergence ne le sera pas nécessairement demain. La science évolue, permettant une meilleure compréhension de phénomènes souvent jugés avec circonspection, et même niés, dans le passé. Dans les années 1960, les premières personnes qui se sont plaintes des effets sur la santé de la fumée de cigarette ambiante ont été perçues comme des êtres marginaux qui importunaient les autres avec des demandes exagérées. De la même façon, dans les années 1960 et 1970, les gens qui les premiers ont remis en question le caractère sécuritaire des pesticides comme le DDT ont aussi été perçus comme des extrémistes, des individus peu crédibles trop sujets à crier au complot. Et pourtant, aujourd’hui, les politiques publiques québécoises leur donnent raison.
Peu à peu, les connaissances scientifiques sur les hypersensibilités environnementales se raffinent. Il est probable que lorsque tout les mécanismes biochimiques expliquant les symptômes des hypersensibilités environnementales seront bien identifiés, nous regarderons fort différemment les débats qui ont cours aujourd’hui à propos de la maladie et des soins à apporter aux patients.
Au cours du processus de reconnaissance d’une maladie environnementale, le langage utilisé véhicule un message concernant la dangerosité ou la banalité d’une substance ou encore, l’origine d’une maladie. Ainsi, dès 2007, les cyanobactéries qui ont envahi les lacs québécois sont devenues, aux dires des porte-paroles du Ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs, des « algues bleu-vert », soit un nom qui évoque davantage les couleurs de l’arc-en-ciel que des organismes hautement toxiques. Ce que l’on appelle aujourd’hui les hypersensibilités environnementales ont d’abord été appelées « sensibilité chimique multiple » (en anglais, Multiple Chemical Sensitivity). Aux États-Unis, l’industrie des produits chimiques a fait campagne pour que le mot « chimique » ne paraisse plus dans le nom de la maladie, préférant des appellations comme la « maladie environnementale idiopathique » (Idiopathic Environmental Illness), nom qui suggère que… la maladie est d’origine inconnue!
Pour notre part, nous avons adopté le terme « hypersensibilités environnementales » qui inclut non seulement l’hypersensibilité aux produits chimiques (pesticides, produits de nettoyage, solvants, parfums et ainsi de suite) mais aussi l’hypersensibilité aux contaminants biologiques comme des moisissures, et l’hypersensibilité aux rayonnements électromagnétiques. Ce terme a aussi l’avantage de refléter ce que nous savons de la maladie, c’est-à-dire qu’elle implique, chez un individu, un état de susceptibilité accrue à plusieurs irritants et agresseurs trouvés couramment dans l’environnement.
Dans le passé, les industries dont l’utilité des produits pouvait être remise en question par la reconnaissance des maladies liées aux effets toxiques de leurs produits n’ont pas hésité à faire appel à des données à caractère scientifique pour faire échouer l’adoption de réglementations visant la protection du public. L’industrie du tabac a pu entretenir longtemps un certain « doute » concernant le caractère cancérigène de la nicotine. Il en est de même en ce qui a trait à la reconnaissance des dangers liés à l’utilisation de l’amiante : des scientifiques au service de l’industrie ont délibérément prolongé la période pendant laquelle des données scientifiques contradictoires existaient au sujet des dangers de l’amiante.
Aux États-Unis, à Washington, DC, il existe un institut de recherche qui s’appelle l’Environmental Sensitivities Research Institute (Institut de recherche sur les hypersensibilités environnementales). Ce nom est trompeur puisqu’il porte à croire que cet organisme est voué à la reconnaissance des hypersensibilités environnementales. Le voile se lève lorsque l’on découvre que… ce sont très majoritairement des représentants de l’industrie des produits chimiques qui siègent à son conseil d’administration! De plus, lorsque l’on apprend que deux études scientifiques concluant que l’hypersensibilité environnementale ne constitue pas véritablement une maladie ont été financées par cet institut, on peut avoir un doute quant à l’objectivité des conclusions de ces études.
En réalité, la compréhension des hypersensibilités environnementales représente un défi pour les scientifiques pour plusieurs raisons :
- Les hypersensibilités environnementales défient le modèle médical dominant voulant qu’une cause spécifique provoque un effet spécifique;
- Contrairement au modèle traditionnel en toxicologie, il n’y a pas de relation linéaire (dose-effet) entre la quantité d’expositions à une substance et les effets que celle-ci provoque;
- De plus, ce n’est pas un seul produit toxique qui est en cause, mais l’effet combiné de différents contaminants et de la capacité du corps humain à s’en défaire, capacité variable d’une personne à l’autre selon sa génétique et sa susceptibilité individuelle;
- Les effets se font sentir dans différents systèmes du corps, à différents moments;
- Les symptômes (par exemple des maux de tête, de la fatigue, des difficultés respiratoires, le brûlement des yeux) sont communs à plusieurs autres maladies.
De plus, certains symptômes permettant de différencier les hypersensibilités environnementales des autres maladies sont d’ordre cognitif; on pense ici à la difficulté à se concentrer, au fait de se sentir « sonné » ou étourdi ou encore de sentir que l’on a le cerveau embrouillé. Comme le médecin ne peut pas encore faire passer un test précis et facile d’accès pour « objectiver » ce genre de symptômes, le diagnostic repose beaucoup sur le récit de la personne atteinte au sujet du rapport entre l’exposition et les symptômes ressentis. La crédibilité des personnes atteintes entre alors en ligne de compte. Comme 60 à 80 % des personnes atteintes sont des femmes, les hypersensibilités environnementales sont trop souvent associées, à tort, à l’émotivité et à l’irrationalité « féminines » plutôt qu’à une maladie d’origine physiologique.
Par ailleurs, indépendamment de la complexité liée à la reconnaissance scientifique des hypersensibilités environnementales, il est clair que celles-ci occasionnent beaucoup de souffrance pour les personnes atteintes. Selon nous, il ne faut pas attendre de posséder une compréhension complète des hypersensibilités environnementales avant de commencer à offrir du support, de l’accommodement et des soins aux personnes atteintes. L’Allemagne, l’Autriche, le Luxembourg et le Japon reconnaissent les hypersensibilités environnementales au même titre que d’autres maladies. Nous espérons que le Québec emboîtera le pas à ces pays pour que les personnes atteintes n’aient pas, en plus d’être malades, à porter sur leurs épaules le fardeau de se battre pour faire reconnaître leur maladie.