Dans cette section, il est surtout question de deux domaines qui sont liés aux besoins les plus fondamentaux des personnes atteintes d’hypersensibilités environnementales : le travail et le logement.
La personne qui souffre d’hypersensibilités environnementales peut très bien avoir eu un parcours professionnel tout à fait réussi… jusqu’au moment où celles-ci font leur apparition. Toutefois, comme les hypersensibilités environnementales sont souvent non reconnues, et même niées et délégitimées, il n’est pas rare que les personnes malades finissent par perdre leur emploi. Pourtant, cela ne devrait pas être le cas.
Un handicap qui donne droit à un accommodement raisonnable
En novembre 2011, la commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec a déclaré que :
Même si, en août 2012, nous n’avions pas trouvé de décisions reconnaissant les hypersensibilités envi- ronnementales à titre de handicap au sens de la charte québécoise, tout porte à croire que les tri- bunaux québécois les considéreraient ainsi. en effet, dans la législation de la plupart des provinces canadiennes – dont l’ontario et la colombie-Britannique – ainsi qu’en droit canadien fédéral, les hyper- sensibilités environnementales ont été clairement reconnues comme un « handicap » par des déci- sions des tribunaux, par une loi ou par des avis juridiques en provenance de commissions des droits de la personne.
Le fait de considérer les hypersensibilités environnementales comme un handicap signifie qu’une per- sonne atteinte a le droit de réclamer un accommodement raisonnable à son employeur, à son proprié- taire ou même à un fournisseur de services, pourvu que cet accommodement ne leur cause pas de contrainte excessive.
La portée du droit à l’accommodement raisonnable variera selon le domaine (emploi, logement, ser- vices publics ou privés) et selon les circonstances. un certificat médical n’est pas nécessaire pour de- mander un accommodement en vertu de la charte. cependant, en cas de mésentente, ultimement, les mesures d’accommodement qui s’imposent devront être motivées au moyen d’un tel certificat. encore une fois, le fait de pouvoir trouver un médecin bien renseigné et compatissant est indispensable. comme d’autres l’ont déjà souligné, il s’agit probablement du défi le plus difficile à relever pour une personne atteinte d’hypersensibilités environnementales.
« La definition du motif handicap dans la Charte des droits et libertes de la personne retenue par notre Commission ainsi que l’interpretation de ce motif par les tribunaux du Quebec est suffisamment large et ouverte pour que les personnes qui souffrent d’hypersensibilites environnementales puissent invoquer ce motif. »
L’accommodement raisonnable au travail
Dans le domaine du travail, une première mesure d’accommodement raisonnable prend forme lorsque l’employeur d’une personne atteinte d’hypersensibilités environnementales adopte une politique pour un « milieu de travail exempt de parfums et de produits parfumés ».
En ontario, un tribunal d’arbitrage a confirmé qu’une école secondaire de toronto devait non seule- ment adopter une politique sans parfum pour tout le monde, élèves compris, mais aussi, entre autres choses, utiliser des produits de nettoyage approuvés par l’enseignante atteinte, et ce, pour nettoyer l’ensemble du bâtiment où elle travaille.
La commission des relations de travail de la fonction publique du canada a déjà décidé qu’un minis- tère fédéral devait accommoder une travailleuse aux prises avec un problème d’hypersensibilités envi- ronnementales en lui permettant de faire du télétravail à domicile et en lui fournissant l’équipement pour le faire.
L’accommodement raisonnable dans le logement
Au Québec, même s’il est clair qu’en vertu de la charte qué- bécoise, les propriétaires ont une obligation d’accommode- ment raisonnable envers leurs locataires, très peu de jurispru- dence peut nous guider en la matière. il reste à déterminer, par exemple, dans quelles circonstances un locataire atteint d’hypersensibilités environnementales pourrait exiger l’ins- tallation d’un échangeur d’air dans son appartement. cette situation contraste nettement avec ce qui se passe en onta- rio. Dans cette province, un projet collaboratif entre la cli- nique de santé environnementale de toronto et un groupe de défense des droits des locataires a récemment été mis en œuvre. au Québec, il y a beaucoup de chemin à faire pour mieux définir les droits des Québécoises et des Québécois atteints d’hypersensibilités environnementales à un accom- modement raisonnable dans leur logement.
Cela dit, le droit des locataires à la « paisible jouissance des lieux », consacré dans le Code civil du Qué- bec, peut également servir de fondement à certaines demandes de la part des locataires hypersen- sibles. Par exemple, si la fumée de cigarette provenant d’autres logements produit des effets nocifs sur la santé d’un locataire, un propriétaire pourra imposer une clause de logement non-fumeurs aux autres locataires et ce, même en cours de bail. De plus, le locataire qui n’a pas la paisible jouissance de son logement en raison d’odeurs ou d’émanations venant d’autres logements, ou même venant d’autres sources, pourra demander la résiliation de son bail.
L’accommodement raisonnable auprès des fournisseurs de services publics et privés
Peu de précédents légaux existent concernant des demandes d’accommodements de personnes souf- frant d’hypersensibilités environnementales dans le domaine des services publics (services de santé, bureaux gouvernementaux) ou des services privés (restaurants, cinémas, compagnie aérienne et ainsi de suite). toutefois, cela ne veut pas nécessairement dire que les gens n’en font pas… ou qu’ils n’en obtiennent pas quand ils en demandent.
Pour alimenter notre vision d’un monde plus accueillant pour les personnes hypersensibles, citons la nouvelle-écosse. tous les hôpitaux de la province et à Halifax, tous les bureaux municipaux ainsi que la commission scolaire, ont adopté une politique « sans parfum ». même si l’objectif de ces politiques est la sensibilisation plutôt que la création de normes pouvant entraîner des mesures disciplinaires ou un refus de service de la part d’un hôpital, elles témoignent d’une prise de conscience sociale du phéno- mène des hypersensibilités environnementales qui, au Québec, à ce jour, se fait attendre. il faut dire qu’en nouvelle-écosse, cette prise de conscience s’est faite de façon plutôt radicale. au début des années 1990, plus de 300 personnes travaillant dans un nouvel hôpital à Halifax – incluant un médecin – avaient déve- loppé des hypersensibilités environnementales incapacitantes en lien avec un produit anticorrosif qui avait été ajouté à la chaudière de l’hôpital. Depuis, une clinique de santé environnementale a vu le jour.
Autre exemple, dans le domaine de l’éducation, en colombie-Britannique, une étudiante collégiale hypersensible s’est vu accorder la permission de suivre plusieurs cours en s’assoyant à proximité d’une fenêtre ouverte ou dans le corridor adjacent à la salle de cours ou encore en demandant à un autre étudiant de prendre des notes ou d’enregistrer le cours pour elle. Par contre, le tribunal des droits de la personne a considéré comme justifiée l’exigence que l’étudiante soit présente en classe pour certains cours basés sur des apprentissages expérientiels.
Dans le domaine des services offerts par les fournisseurs privés comme les restaurants, les cinémas et les compagnies de taxi, l’obligation d’accommodement raisonnable existe également, toujours sous réserve de la « contrainte excessive ». Par exemple, exiger qu’un restaurant demande à tous les clients parfumés de quitter les lieux pour accommoder un client hypersensible arrivé à l’improviste pourrait sans doute représenter une contrainte excessive pour le restaurant. Par ailleurs, une demande auprès d’un propriétaire de restaurant, transmise plusieurs jours d’avance, à l’effet que celui-ci invite ses ser- veurs à tenir compte des besoins d’une personne atteinte d’hypersensibilités environnementales, en ne se parfumant pas, en lui réservant une place à côté d’une fenêtre ouverte et en lui fournissant des informations sur le menu paraît beaucoup plus raisonnable.
Bref, l’obligation d’offrir un accommodement raisonnable peut, dans certains cas, fonder un recours. elle peut aussi servir à conscientiser les fournisseurs publics et privés relativement aux besoins des personnes atteintes d’hypersensibilités environnementales et à les convaincre de prendre certaines mesures en conséquence. l’accommodement raisonnable exige surtout une ouverture d’esprit, une réelle volonté de part et d’autre à travailler pour trouver une solution acceptable pour tout le monde.
Le droit à un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique
Il arrive malheureusement que les personnes atteintes d’hypersensibilités environnementales qui invoquent le droit à un accommodement rai- sonnable dans leur milieu de travail subissent des gestes d’hostilité ou des réactions de rejet de la part de certains collègues : grimaces, déclarations verbales abusives, gestes d’opposition comme l’utilisation accrue de parfums ou le déversement de parfum, rires et autres gestes désobligeants, par exemple lorsque la personne atteinte porte un masque. il est donc important de savoir qu’au Québec, en vertu de la Loi sur les normes du tra- vail, tout salarié a droit à un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique. Pour sa part, l’employeur a l’obligation de prévenir le harcèlement psychologique. Si de tels gestes sont portés à son attention, il doit prendre des moyens raisonnables pour les faire cesser. De plus, la charte québécoise stipule que nul ne doit harceler quelqu’un en raison de son handicap ou de l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap.
En dépit du fait que les dispositions sur le harcèlement psychologique dans la Loi sur les normes du travail ne s’appliquent pas en droit fédéral, la plupart des employeurs de juridiction fédérale ont néanmoins une politique contre le harcèlement au travail qui permet également de déposer une plainte.
Les personnes atteintes d’hypersensibilités environnementales ont, comme tout le monde, le droit au respect de leur dignité au travail!